Anne Coqu, ou Cocqu, et Jehan Rollet sont les parents de Marie Rollet, femme de Louis Hébert. Louis et Marie sont les premiers français à être partis s’installer à Québec avec leurs enfants en 1617. Je suis un de leurs descendants par ma mère. J’ai raconté dans l’article no 12 de ce blogue les circonstances de la découverte de la date de publication des bans, le 21 janvier 1601, des fiançailles, le 18 février, et du mariage de Louis Hébert et de Marie Rollet, le 19 février 1601.
Dans un acte daté du 24 juillet 1602, Louis Hébert, Marie Rollet et Anne Coqu sont devant les notaires Pierre Belot et Jacques Fardeau. Louis, « marchand espicier » et Marie qui demeurent rue et paroisse Saint Sulpice, « vendent, cèdent, quittent et transportent » à Anne Coqu, « veuve de feu Jehan Roullet, en son vivant canonnier du roy, demeurant de présent au faulx bourg Saint Germain lez Paris, rue des Marguillers, paroisse dudict Saint Sulpice [….] une masure assise audict Saint Germain des Prez, toute de présent rompue, abbatue et non close, que de vieulx murs size rue de la Petite Seine et près le port de Malacquest. Louis et Marie vendent pour ce bien un bail à rente qu’ils avaient acquis de Perrette le Sain, veuve de Jacques de la Chaise. (1)
Quatre ans plus tard, Anne Coqu et sa fille Marie Rollet sont présentes et signent l’acte de vente d’une maison sise rue de la Petite Seine à la reine Marguerite, duchesse de Valois, le 8 août 1606. (2) S’agit-il de la même maison qui aurait été relevée et remise en état, ou d’une autre maison? Marie agit sur une procuration signée par son mari pour qu’elle gère leur biens et en dispose comme bon lui semblera. Cette procuration a été signée devant les notaires Absalon Garnon et Mathieu Bontemps le 24 mars 1606, peu de temps avant le départ de Louis pour son premier voyage en Amérique, plus précisément en Acadie.
Dans cet acte, Anne Coqu est dite veuve de feu honorable homme Jehan Rollet, en son vivant canonnier du roy, demeurant au logis de Moustier (?) ———————– size rue de Hautefeuille, paroisse Saint Séverin.
La rue de la Petite Seine, ou Petite rue de Seine, aujourd’hui rue Bonaparte, se trouvait sur l’ancien lit d’une petite rivière qui se jetait dans la Seine, la Noue, qui fut élargie au XIVè siècle pour créer un canal qui alimentait en eau les douves de l’Abbaye de Saint Germain des Prés. Quand ce canal fut comblé, la rue de la Petite Seine fut créée. La reine Marguerite, quand elle voulut faire construire son hôtel particulier face au Louvre, acheta toutes les maisons et propriétés qui bordaient les parties nord de la rue de Seine et de la rue de la Petite Seine.
Plan de Paris de Mérian, 1626. On voit à gauche en haut l’Hôtel de Nesle, puis en descendant, les remparts de la ville, les fossés, puis l’Hotel de la reine Marguerite, construit à partir de 1607 avec sa façade rue de Seine. Dans les jardins, on voit la Chapelle des Louanges, de forme ronde qui existe toujours. J’ai matérialisé par un trait rouge le tracé supposé de la rue de la Petite Seine. La maison du couple Hébert Rollet devait donc se trouver sur un emplacement ayant été remplacé par les jardins de la reine. On voit sur la Seine des barques à l’endroit où se trouvait le port Malaquais.
On trouve parfois le nom de la mère de Marie Rollet retranscrit « Cogu », mais il s’agit certainement d’une mauvaise interprétation de l’écriture ancienne. Le nom d’Anne est Coqu. Les scribes de l’époque ne faisaient pas toujours la différence entre le q et le g. Ainsi, dans l’acte de 1606 cité plus haut, on trouve le nom écrit comme ceci par le notaire ou le clerc:
On pourrait interpréter la graphie du nom par « Anne Cocgu », la boucle de la quatrième lettre du patronyme évoquant évidemment un g pour un oeil moderne. Mais il suffit de parcourir le reste de l’acte pour trouver d’autres mots qui ne laissent plus de doute.
appoticquaire ( le q est écrit comme nous écrivons un g )
vingt quatrième ( même forme pour le q )
A la fin de l’acte, on trouve les signature des trois femmes impliquées, la reine Marguerite, Anne Cocqu ( elle signe Coqu ) et Marie Rollet ( elle signe Rolet ).
Aquisition de la petite
maison de Louis Hébert
en la petite rue de Anne Coqu
Seine. Marguerite Marie Rolet
Dans l’acte de donation qui suit, on trouve sous la plume d’un autre clerc la même façon d’écrire le q.
Anne Coqu
qu’elle
quelque
Le 15 mars 1607, Anne Coqu, veuve de Jehan Royellet ( sic ) est devant les notaires parisiens Jacques de Saint Vaast et Jacques Fardeau pour faire une donation. (3)
L’acte indique la raison de cette donation.
« Fut présente en sa personne Anne Coqu, veufve de feu Jehan Royellet, vivant canonnier de l’artillerie du roy, demeurant a la Verrie (probablement la Verrerie, un des lieux-dits d’Ozoir) paroisse d’Auzoy la Ferrière près Tournan, estant de présent en ceste ville de Paris. Laquelle, de son bon gré, bonne, pure, franche et libéralle volonté, sans aucune contraincte, comme elle disant, et pour la bonne affection qu’elle a toujours porté et porte à Messire Ysaac Lebarbier, sieur de Francourt, demeurant faulxbourg Saint Germain des Prez Lès Paris, et pour ———- le récompenser et remercier des plaisirs et offices qu’elle et ledict deffunct son mary ont resceuz dudict sieur de Francourt qui aurait durant la guerre retiré et rachepté ledict deffunct Royellet de prison ou il estait détenu pour ———– ( ? ).
Pour remercier le sieur de Francourt, elle lui donne « une maison consistant en deux corps d’hostel couverts de thuilles, joignant l’un à l’autre cour, grange, estable, et jardin derrière, cloz [ …. ] contenant deux arpents ou environ, assis au village du Plessis, paroisse de Chevry en Brie ». (Il s’agit du village du Plessis Nonains, à Chevry Cossigny, dans le département de la Seine et Marne.) Elle lui donne également treize pièces de terre au terroir de Chevry, totalisant un peu plus de 21 arpents. Anne Coqu avait acquis ces biens le 18 octobre 1606 de Jacques Garnier et Jacqueline Husson, sa femme, par un acte passé devant les notaires parisiens Fardeau et de Saint Vaast. L’acte se trouve dans les minutes de Fardeau. (4)
« Diocese, prevoste, et eslection de Paris. Le diocese est divisé en archipretrés, ou doyennés ruraux. la prevosté en balliages, ou prevostés subalternes, et l’eslection en chastellenies / par N. Sanson d’Abbeville », Gallica.
On voit Paris, en haut à gauche, et j’ai entouré en vert Auxoirs ( aujourd’hui Ozoir ) la Ferrière, et en rouge le Plessis aux Nonnains, qui fait aujourd’hui partie de Chevry Cossigny.
Je n’ai pas trouvé trace d’Anne Coqu dans les registres paroissiaux d’Ozoir la Ferrière, qui ne commencent qu’en 1616, ni dans ceux de Chevry Cossigny.
Qui était Isaac le Barbier de Francourt ? J’ai trouvé quelques éléments sur lui et sa famille, mais rien qui explique le lien avec Jehan Rollet, et le rôle d’Isaac le Barbier dans sa libération de la prison où il était détenu, ni la raison pour laquelle il était détenu, ni dans quelle ville se trouvait cette prison. Rien non plus sur l’année où ces événements se sont produits.
Les premières informations que j’ai trouvé sur Isaac et ses parents sont tirées du livre de raison qu’ont tenu des membres de la famille Legendre, notables vivant au Mans. (5) Symon Legendre, avocat du roi en la Sénéchaussée et Prévôté du Mans, en commence la rédaction. Ses fils et petit-fils poursuivront son ouvrage. Legendre note dans ce livre les événements de la vie des membres de sa famille depuis le jour de sa naissance en 1523 jusqu’à 1574. C’est dans cette partie du livre qu’on trouve ceci:
MARIAGE DE FRANCOUR ET DE BENOITE LE GENDRE. Le samedi 19è jour de novembre 1559, Me Gervais Barbier, seigneur de Francour, de la paroisse de Notre Dame de Torcé, épousa à 4 heures du matin, Benoiste, ma nièce, fille aînée de mon frère Martin Le Gendre et Françoise Ruelle, en l’église de Saint Hilaire où j’ai assisté avec mon frère et nos femmes.
Il y a bien un hameau nommé Francourt à Torcé en Vallée, dans la Sarthe, à quelques kilomètres du Mans. Dans l’église de Torcé on trouvait cette épitaphe en caractères gothiques:
Cy git Marguerite Lebarbié, femme de Julian Rousseau et mère de Messire Francour et Guillaume et Pierre les Roussauts laquelle décéda le 11 de décembre 1565.
Le Sire de Francour, premier des trois fils de la défunte cités dans cette épitaphe, est Gervais le Barbier. Il porte le nom de sa mère, ce qui semble indiquer qu’il était un enfant illégitime, ou que sa mère, avant d’épouser Julian Rousseau, avait eu un premier mari également appelé le Barbier.
Quelques pages plus loin, Symon Legendre écrit ceci:
MORT DE BENOÎTE LE GENDRE, MA NIECE. Le vendredi 14è jour de février 1560, ma nièce Benoîte Le Gendre, fille de mon défunt frère Martin Le Gendre, mariée à Me Gervais Le Barbier, seigneur de Francourt, décéda entre 4 et 5 heures du matin, et fut ledit jour enterrée en l’église Saint Hilaire, sans pompe parce qu’elle l’avait requis. De ce mariage il y avait un fils unique, nommé Isaac et âgé de cinq à six mois.
Il peut paraître étrange qu’une femme mariée en novembre 1559 meure en février 1560 en laissant un fils âgé de cinq à six mois. Il ne faut pas oublier que l’année, à l’époque, commence et se termine à Pâques. Selon ce calendrier, l’année 1560 commença le 14 avril, jour de Pâques, et se termina le 5 avril suivant, 1561 commençant le dimanche 6 avril, jour de Pâques. Benoîte Le Gendre, femme de Gervais le Barbier est donc morte le 14 février 1561, selon le calendrier grégorien, et Isaac, leur fils, a dû naître en août ou septembre 1560.
Son père Gervais, avocat au Mans, fut un éminent représentant de la Réforme en France. Il a écrit des textes importants adressés au roi pour la défense des huguenots, a été choisi pour les représenter auprès des princes allemands dans une période où les chefs protestants cherchaient des appuis, fut nommé Chancelier de Jeanne d’Albret, reine de Navarre, mère d’Henri IV, puis maître des requêtes par le roi Charles IX. Il mourut à Paris lors du massacre de la Saint Barthélémy, le 24 août 1572 tué semble-t-il dans la cour du Louvre avec 200 autres protestants qui résidaient au palais dans le cadre des festivités entourant le mariage de Henry de Navarre et de Marguerite de Valois, soeur du roi. (6)
Gervais le Barbier semble bien s’être remarié après le décès de Benoîte le Gendre. Un acte passé devant Charles Bertrand, notaire à Tours, le 28 février 1583, cite un autre acte du 8 septembre 1572, signé par Françoyse Nicollas, veuve du sieur de Francourt, vivant chancellier de Navarre. On vient de voir que Gervais le Barbier était mort le 24 août 1572, soit deux semaines avant cet acte. (7)
Isaac le Barbier fut orphelin de mère à six mois et de père à 12 ans. Est-il demeuré protestant comme son père? Le prénom de sa femme peut en tout cas le laisser penser. Ester Rolland ( elle signe Raoulland ), femme de Me Ysaac Lebarbier, sieur de Francourt, fait dresser l’inventaire de dame Foy Guichard, sa mère, le 5 avril 1599 devant les notaires Nourry et François. L’écriture du clerc ou du notaire qui a rédigé cet acte de 40 pages le rend particulièrement difficile à déchiffrer. (8)
Le 25 octobre 1603, Jehan le Barbier et Mataier ( c’est ainsi qu’il signe ), « maître paticier oublier » fils naturel d’Ysaac le Barbier sieur de Francourt et de défunte Marguerite Metaier, signe son contrat de mariage avec Marguerite Ridet devant les notaires Mathieu Bontemps et Pierre Guillard. Ysaac est présent et signe l’acte. Il promet aux futurs époux 600 livres tournois à prendre par preciput sur ses biens au jour de son décès. (9)
Isaac le Barbier et Ester Rolland avaient du avoir des enfants légitimes, mais je n’en ai pas trouvé la trace. Un Jean Baptiste le Barbier de Francourt est présent à Paris dans le premier quart du XVIIIè siècle. Il est forcément un descendant d’Isaac, mais je n’ai pas trouvé les maillons qui les relient.
L’acte de donation d’Anne Coqu à Isaac le Barbier dit que Jehan Rollet fut tiré de prison pendant la guerre; s’agit-il des guerres de religion qui ont secoué la France de 1562 à 1598 ? Jehan Rollet était-il en prison pour avoir choisi ou servi le « mauvais camp »… ? A-t-il été catholique ou protestant dans un lieu et à un moment où il aurait mieux valu être l’inverse ? Je n’ai pour l’instant rien trouvé qui pourrait éclairer davantage cet acte.
Notes:
(1) Archives Nationales de Paris, minutes du notaire Jacques Fardeau, MC/ET/XLIX/190
(2) AN de Paris, minutes du notaire Raoul Bontemps, MC/ET/XXIII/113
(3) AN de Paris, minutes du notaire Jacques Fardeau, MC/ET/XLIX/195
(4) AN de Paris, minutes de Jacques Fardeau, MC/ET/XLIX/194
(5) Moulard, P. La famille Le Gendre, article paru dans Revue historique et archéologique du Maine, 1888. Consulté sur Gallica
(6) Blondeau, Claude, Les Portraits des hommes illustres de la province du Maine, Le Mans, Jacques Ysambart, marchand libraire et imprimeur, 1666. Consulté sur le site Les Bibliothèques virtuelles humanistes.
(7) Ressources Numériques pour l’édition des Archives de la Renaissance, http://renumar.univ-tours.fr/xtf/view?docId=tei/TIPO469992.xml&doc.view=print;chunk.id=n1
(8) AN de Paris, minutes du notaire Jean François, MC/ET/XLIX/252
(9) AN de Paris, minutes du notaire Raoul Bontemps, MC/ET/XXIII/223